source: Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses les perspectives dépravées, Flamarion 1985
La constatation que le vrai semble faux et que certains faux sont perçus par l’œil comme vrais remonte à l’antiquité (on se souvient des colonnes du Parthénon).
Cette opposition donnera naissance à la perspective : un artifice permettant de restituer
la troisième dimension sur un support qui n’en compte que deux.
Pendant la renaissance italienne, les artistes qui sont aussi des mathématiciens
commencent à définir des règles et trouver des calculs pour donner à la perspective un réalisme maximal (ces calculs seront vérifiés 5 siècles plus tard en les comparant avec une image photographique).
Peu de temps après la découverte de ces calculs et de ces règles, certains artistes, peut-être ceux-là mêmes qui les avaient découvertes, éprouvèrent le besoin
de les transgresser, ou plutôt de les pousser à l’extrême, produisant les premières anamorphoses.
Dessin anamorphotique de Léonard de Vinci, 1483-1518
Au début du XVIIe siècle sont apparus des accessoires permettant d’associer
aux calculs géométriques de la perspective les lois de la réflexion de la lumière :
les miroirs cylindriques et coniques.
Les images déformées par ce procédé sont presque illisibles sans leur accessoire
et le dessin, en regardant la pointe du cône tout en traçant l’inverse de ce que l’œil voit,
était d’une extrême difficulté.
Au XVIIIe siècle les anamorphoses à miroir se répandent dans toute l’Europe, on les trouve principalement dans les cabinets de curiosité. Elles fascinent les philosophes des Lumières et émerveillent les amateurs éclairés.
"Comme les miroirs [courbes] ont la propriété de rendre difformes les choses qu’on leur expose et que par conséquent ils peuvent faire paraître naturels les objets difformes, on donne aussi, dans l’optique, les moyens de tracer sur le papier des objets difformes qui étant vus par ces sortes de miroirs paraissent de leur figure naturelle."
Encyclopédie de Diderot, 1751.
Femme à l’oiseau, Pays-Bas XVIIIe siècle.
Anamorphose conique restituée
Les anamorphoses, objets de spéculations philosophiques au XVIIe siècle, curiosité scientifique et divertissement princier au siècle suivant, périclitent en se multipliant dès le début du XIXe siècle. Elles sont tirées en série, le plus souvent d’après des gravures aux traits grossiers et aux couleurs criardes. Un large éventail de sujets y sont représentés, depuis les animaux de la ferme jusqu’aux scènes pornograhiques ou scatologiques. Il n’est plus question alors d’émerveillement mais de dérision et d’obscémité dissimulée. Plus tard, au début du XXe siècle, on en trouvera chez les marchands de jouets, mais ces images continueront d’intéresser les philosophes et les artistes.